FAUT-IL ESPERER QUE LE PROGRES TECHNIQUE NOUS LIBERE DU TRAVAIL ?

 

Analyse préparatoire

 

Les termes du sujet

 

· Faut-il =  idée d’obligation que nous avons à nous imposer., idée que nous n’avons pas le droit de désespérer mais que les choses ne se feront pas toute seules.

· Espérer = · Soit souhaiter de façon raisonnable, en connaissance de cause. Dans cette façon d’espérer, on fait en sorte que ce que l’on souhaite se produise ; on n’attend pas passivement qu’elle arrive comme par enchantement.

                      · Soit au contraire désirer, rêver ; attendre  un miracle ; se faire des illusions, prendre ses désirs pour la réalité.

 Grâce à cette distinction un plan se dessine déjà : Les raisons d’espérer que le progrès technique nous libère du travail ; celles de ne pas le souhaiter :

® raisons faisant que le progrès technique ne peut pas nous libérer du travail, au contraire !

 

· Le progrès technique = l’amélioration des méthodes et des outils permettant d’agir plus efficacement, avec moins de peine et en moins de temps. Amélioration qui a pour effet de développer un sentiment de puissance qui favorise la recherche de la puissance économique au détriment de tout autre but de l’existence. Il en résulte qu’au lieu de conduire à travailler moins, le progrès technique conduise à travailler de plus en plus, non pas pour mieux vivre mais pour s’enrichir, avec les inégalités sociales que ce but engendre.

® On entrevoit là une raison de ne pas compter sur le progrès technique pour qu’il libère du travail..

 

D’autre part, la question ne demande pas s’il faut espérer que la technique nous libère du travail ; mais elle porte sur « le progrès » de ( la technique).

® Si la technique ne libère pas encore du travail, comme elle « progresse », il est encore permis d’espérer. On s’appuiera donc sur l’évolution de la technique, fondée sur la connaissance scientifique pour avoir raison d’espérer…

 

· Le travail = ensemble des actions  permettant de produire tout ce dont nous avons besoin, avec ce que cela implique comme dépendances et de servitudes : sa survie ne dépend plus de la nature mais elle dépend de son travail ; il peut avoir le statut d’esclave, de pur et simple instrument de travail ; et s’il gagne un salaire, celui-ci peut n’être pas à la hauteur de son travail ( = ce qu’on appelle l’exploitation du travail ) et lui permettre à peine d’acheter de quoi vivre ; il peut être subordonné soit à un patron, soit aux exigences de productivité qui impose au travail des cadences épuisantes; il peut donc travailler dans des conditions pénibles et dégradantes ; son temps libre, il n’en dispose pas comme il veut s’il doit d’abord se reconstituer.

® Raison d’espérer que le progrès technique nous libère des servitudes du travail, s’il le peut.

 

Mais à souligner tout de suite que le travail est libérateur : en produisant ce dont nous avons besoin, nous ne sommes plus tributaires de la pénurie de biens naturels ; d’autre part les hommes trouvent dans le travail matière à se prouver à eux-mêmes qu’ils existent, qu’ils sont utiles ; ils développent leurs talents et leurs vertus, c’est à dire leur humanité. Le travail force l’homme à se dépasser. Il entraîne la coopération, donc une certaine ouverture aux autres, il doit sortir de lui-même, aspects du travail porteur de libération.

® Il ne faudrait donc pas que le progrès technique nous dispense de travailler…

 

· Nous libère ( du travail ) = On peut comprendre cette expression de trois manières :

1)       Libérer du travail au sens de nous dispenser de travailler. (pas souhaitable)

2)       Libérer du travail au sens nous délivrer de la dépendance.(souhaitable mais vérifier si c’est possible)

3)       Libérer du travail au sens de nous délivrer de la servitude. (souhaitable mais vérifier si c’est possible)

 

Problématisation

On entrevoit des raisons d’espérer et des raison de ne pas souhaiter que le progrès technique nous libère du travail. Il faut donc finalement préciser, cerner  la nature de l’espoir que l’on doit entretenir quant aux effets libérateurs du progrès technique sur le travail.

® Le problème est donc le suivant : Est-il légitime de compter sur le progrès technique pour nous libérer du travail ou est-ce un  rêve contestable dont il vaut mieux se délivrer?

 

NB En général, la réponse à une alternative de ce genre se situe entre les deux extrêmes; mais ce juste milieu, il faut le formuler et non pas se contenter de conclure que la réponse est entre les deux extrêmes.

 

Au propre

 

Introduction

 

Les hommes trouvent dans le travail le pouvoir de subvenir à leurs besoins en maîtrisant la nature. Mais ils jugent que la nécessité de travailler est une contrainte. Pourtant le progrès technique a déjà bien amélioré nos conditions de travail. faut-il pour autant espérer que le progrès technique nous libère du travail ? Mais il y a deux façons d’espérer : souhaiter une chose parce qu’elle peut se produire ou la désirer mais en prenant nos désirs pour la réalité. Devons nous le souhaiter car cet espoir est de l’ordre du possible; ou avons nous tort d’y compter ?

· D’un côté, comme nous commencerons par le montrer,  c’est le but de la technique de permettre d’agir plus efficacement, avec moins d’efforts et en moins de temps. Si les techniques de travail progressent, les contraintes devraient a priori reculer. Il paraît donc raisonnable de compter sur le progrès technique pour faire reculer les contraintes du travail.

· Mais d’un autre côté, comme nous le montrerons dans un second temps, se libérer du travail peut signifier en être dispensé, ne plus avoir à travailler. Mais est-il raisonnable de rêver de ne plus avoir à travailler alors que le travail est en soi libérateur, ? D’autre part, le progrès technique entraîne une volonté de puissance qui pousse plutôt à travailler davantage qu’à travailler moins, et à travailler pour s’enrichir plutôt que pour s’épanouir avec le développement des inégalités que cela implique.  Dans ce cas, est-il légitime de compter sur le progrès technique pour nous libérer du travail ou est-ce un  rêve contestable ?

® Nous tâcherons de cerner, pour finir, quel est exactement la nature de l’espoir que nous avons le devoir d’entretenir.

 

Développement

 

                               1ère partie : Il est raisonnable d’attendre du  progrès technique qu’il nous libère du travail.

·  Il permet de sortir de la dépendance dans laquelle nous précipite le travail : Nous avons besoins d’outils efficaces pour produire ; or l’invention des outils et de savoir faire efficaces est le but même de la technique.

· L’outil non seulement facilite le travail mais crée de la liberté. L’ouvrier, celui qui œuvre, doit savoir manier ses outils. Il gagne donc en habileté ; cette habileté est un nouveau pouvoir, donc une nouvelle liberté.

· Les machines allègent davantage encore les efforts. L’ouvrier, cette fois doit savoir les régler, réparer les pannes qui se produisent. Plus les instruments de production sont automatisés, plus l’ouvrier doit posséder de compétences techniques,  et plus il doit travailler avec précision, ce qui l’oblige à savoir se discipliner. Or la liberté s’accroît en fonction du développement de l’intelligence et de la maîtrise de soi.

· Les techniques progressent car elles découlent de plus en plus de la connaissance de la nature et non plus du hasard ou de simples connaissances empiriques. Le travail repose ainsi sur la maîtrise de la nature, qui constitue une liberté puisqu’ils ne la subissent plus car ils peuvent prévoir les effets de leur travail.

· Il permet de sortir de la servitude puisque le progrès technique réduit la pénibilité du travail et  réduit le temps à y consacrer, ce qui permet d’envisager d’autres activités que la satisfaction des besoins ; il arrache donc l’homme à sa condition animale, avoir pour seul but de subvenir à ses besoins.

· Comme  il exige le développement du savoir il conduit à l’abolition de l’esclavage car il n’est plus possible de traiter comme de purs et simples instruments des hommes qui travaillent intelligemment et en faisant preuve de maîtrise de soi. Les hommes qui travaillent avec des techniques qui font appel à leur réflexion sont devenus des hommes libres, capables d’esprit d’initiative ; il faut donc que la liberté devienne un droit commun. On doit au progrès des sciences et des techniques la prise de conscience que la liberté est un droit. Aristote l’aurait-il anticipé quand termine une argumentation justifiant l’esclavage afin que les hommes capables de penser ait tout loisir de la faire si les esclaves s’occupent des tâches domestiques en disant que si les navettes tissaient toute seules la toile, il n’y aurait plus besoin d’esclaves ?

 

2ème partie : Raisons de contester l’espoir que le progrès technique nous libère du travail.

 

· C’est par le travail que l’homme prend conscience de soi : il prend conscience de sa liberté au travers de  l’utilité de son travail et de sa capacité de transformer la nature. Il acquiert le sentiment d’exister au travers de son œuvre qui est la preuve palpable de son pouvoir ; il a le sentiment d’exister socialement puisqu’il contribue au bien être et à la richesse de la société, donc à l’indépendance de la société par rapport aux autres sociétés. Il ne faut donc pas que le progrès technique le dispense de travailler. Or plus le travail est mécanisé, moins les travailleurs peuvent avoir conscience que la richesse est leur œuvre. C’est le cas en ce qui concerne le travail à la chaîne : l’ouvrier ne peut avoir le sentiment que la voiture qui sort en bout de chaîne est son œuvre.

· Face à la perspective de productivité du travail mécanisé et industrialisé, s’est développé, prenant sur le christianisme qui présente le travail comme une sanction divine contre la tentation de jouissance, une idéologie faisant du travail le moyen  de vaincre la paresse et les vices, afin de forcer les hommes à travailler toujours plus et non pas de moins en moins grâce au progrès technique. Le travail est donc valorisé non pas pour la liberté qu’il apporte mais en tant que prévention contre les vices. Il devient coupable de vouloir profiter de la vie durant son temps libre. Dès lors que le progrès technique se met au service de la recherche du profit, il ne faut donc pas espérer qu’il libère du travail.

· l’accroissement des richesses, objectif du progrès technique, passe par la concurrence qui est facteur d’inégalités. Or les hommes qui ne sont pas dans la course ne le doivent pas nécessairement à la paresse et à l’incompétence. Ils peuvent se trouver au chômage parce que l’entreprise dont ils sont employés périclite. Les inégalités sociales sont alors une injustice. Pour remédier aux inégalités est né le principe de l’égalité des chances. Mais les statistiques démontrent que les plus démunis ont moins de chance de sortir de leur condition que les plus aisés ; ce principe est encore très formel. La croissance économique exige de modérer la rémunération du travail, donc la redistribution de la richesse. Le travail n’est pas récompensé mais exploité.

· Alors qu’en théorie le progrès technique conduit à l’abolition de l’esclavage, de fait, en étant au service de la croissance économique, il conduit au retour de l’esclavage. Précisons que ce n’est pas la mécanisation du travail qui entraîne le chômage. Elle entraîne au contraire un déplacement du travail vers la fabrication des machines et vers la production des loisirs. Le progrès technique pourrait donc conduire à travailler non plus pour subvenir à ses besoins, cela étant garanti par la mécanisation du travail, mais pour satisfaire ses désirs, de sorte que les hommes peuvent de plus en plus faire ce qui leur plaît. Mais mis au service de la course aux profits, il engendre non seulement le chômage mais l’industrialisation des loisirs, la culture de masse qui fait de l’individu un consommateur passif et non pas un homme qui choisit véritablement de faire ce qu’il désire par lui-même.

 

Bilan

                Le progrès technique peut en théorie remédier à la dépendance de l’homme vis à vis du travail en le facilitant et à l’esclavage. Plus le travail requiert des compétences technique et des qualités morales telles que la rigueur et la discipline ;  plus l’homme peut trouver dans le travail matière à se considérer comme un homme libre ; moins il est dépendant de ses besoins et peut songer à satisfaire ses désirs.

Mais force est de constater qu’il est au service non plus du travail mais de la recherche de la puissance économique et qu’il crée des servitudes au lieu d’y remédier.

Faut-il pour autant désespérer que le  progrès technique nous libère du travail ? La conscience des inégalités et de l’injustice dont elles sont porteuses est bien vivante comme le démontrent les mouvements sociaux et la mobilisation contre le sous développement.

                Il ne sera pas remédié à l’injustice par miracle mais par volonté. Il ne faut donc pas espérer au sens d’attendre que le progrès technique libère du travail asservi à la volonté de puissance économique. Il faut que l’espoir ne soit pas de l’ordre du rêve mais de l’ordre de la volonté. Car le remède à l’injustice est un combat d’ordre moral et politique mais aussi un combat technique : Pour que les petits producteurs, par exemple puissent vivre de leurs produits sans être écrasés par la production industrielle, il faut inventer des moyens de production à petite échelle qui soient néanmoins concurrentiels. Les hommes qui s’investissent dans le commerce équitable ne prônent pas le retour à la nature et à l’âge de pierre. On voit au contraire apparaître des techniques ingénieuses de production au cœur d’un environnement naturel hostile.

 

Conclusion

 

 C’est donc un devoir de faire confiance à l’intelligence technique, à condition qu’elle soit gouvernée par un idéal humanitaire et non pas livrée à elle-même, ce qui a conduit à la valorisation de la richesse au détriment de la valorisation de l’équité.