La violence peut-elle être un remède à l’injustice ?

 

L’injustice dans le cadre d’une société apparaît d’abord comme une transgression des lois positives ou une mauvaise application de ces lois positives, destinées la plupart du temps à prévenir et punir la violence (droit pénal) quand elles ne peuvent obliger à des réparations des préjudices (droit civil). La violence apparaît quant à elle comme une atteinte portée à l’intégrité physique ou morale de la personne et peut se fonder sur le non-respect de la liberté de la personne à disposer d’elle-même. Il peut sembler alors contradictoire de concevoir la violence comme un remède à l’injustice qui souvent se réalise par la violence.

Pourtant si le recours à la justice comme institution qui applique les lois lors des litiges ou si les lois positives sur lesquelles se fonde cette justice ne sont pas elles-mêmes légitimes ou n’acceptent ni le débat contradictoire ni la réforme, alors l’injustice règne dans la société et la violence ne peut-elle être le seul remède à l’injustice ?

Mais qu’est-ce qu’un remède ? Un remède se définit d’abord par son but qui peut aller d’un simple traitement symptomatique destiné à soulager des effets de la maladie ou un traitement plus radical destiné à supprimer les causes de la maladie et à obtenir une guérison définitive. Or la violence peut-elle suffire à effacer l’injustice ? Ne risque-t-elle pas d’envenimer la relation d’injustice ?

Pour répondre à ces questions, nous évaluerons d’abord la nature de la violence dans ses caractères, dans ses formes, dans ses buts et dans ses effets pour souligner sa contradiction avec l’exercice de la justice et en déduire son illégitimité ainsi que son inefficacité face à l’injustice. Puis nous nous demanderons si la violence sous certaines conditions n’est pas le seul moyen de corriger l’injustice lorsque celle-ci est irréductible.

 

Première partie :

 

La violence se présente la plupart du temps comme impulsive et tendant à l’excès et à la démesure voire à la surenchère et se distingue en ceci de la simple force. Ses mobiles sont souvent d’ordre pathologiques, elle est une réaction causée par des sentiments, des passions. En ce sens, elle est, au contraire de la sagesse du remède, irréfléchie, passionnelle et tend à être disproportionnée par rapport au mobile qui en est à l’origine.

Par ailleurs, en lui-même, l’acte violent méprise l’intégrité physique et / ou morale de l’individu qui y est soumis et ne tient pas compte de sa dignité humaine, le traite comme un monstre et, en ce sens, constitue une injustice, inflige à un homme ce que l’on ne pourrait vouloir pour un homme et pour soi en particulier. En ce sens, la punition légale qui use de violence peut en elle-même s’apparenter à une vengeance déguisée. Et, en ce sens, la violence ne doit pas être utilisée.

Une telle violence vengeresse néanmoins peut bien soulager et, dira-t-on remédier à défaut de réparer. Mais cet effet n’est-il pas provisoire et décevant, inapte à supprimer l’injure ou la blessure subie ? La violence semble donc pouvoir être un soulagement provisoire, un traitement symptomatique du sentiment d’injustice mais encore incapable de supprimer la cause de ce sentiment.

En outre, généraliser le recours à la violence conduit à un état de terreur pire que l’injustice à l’instar du climat de suspicion et de menace perpétuelles que la vendetta tisse peu à peu entre des familles. La violence apparaît alors davantage comme un empoisonnement lié à l’abus inévitable d’une drogue.

 

Conclusion partielle - transition

Ainsi la violence ne semble pas avoir d’efficacité contre une injustice qu’elle envenime (à vouloir guérir le mal par le mal, le remède est ici pire que le mal) et elle ne semble pas non plus être légitime face à cette injustice. Toutefois, de nombreux poisons peuvent dans un usage mesuré et modéré donc réfléchi être utilisés comme remède, alors la violence ne peut-elle être un remède à l’injustice sous certaines conditions ?

 

Deuxième partie :

 

La violence peut faire l’objet d’un usage légal, c’est-à-dire d’un usage mesuré selon la loi et réfléchi par le législateur et par la justice qui décide de l’infliger au coupable. En ce sens, elle correspond davantage aux critères de mesure, de réflexion et de rationalité qui caractérisent le remède.

Même comme simple et primitif traitement des infractions selon lequel le châtiment doit être égal à la faute (« Œil pour œil, dent pour dent », comme le stipule la loi du Talion), la violence rétablit ici une égalité face à la violence par laquelle se manifeste souvent l’injustice. Notons toutefois qu’un tel exercice de la justice par la violence suppose que l’ordre prévaut sur les personnes. La violence est moins conçue comme remède au préjudice que comme rétablissement de l’ordre, que comme remède au désordre. Cette rationalisation de la justice ignore dans son aveuglement l’importance que l’on peut accorder à la personne, aux préjudices subis aussi bien comme victime que comme coupable pouvant bénéficier de circonstances atténuantes à laquelle des juges se rendraient sourds. Paradoxalement la violence qui apparaissait comme la réaction passionnelle d’une victime apparaît ici dans la punition comme une justice inhumaine et froide. Ne l’est-elle pas trop alors ?

Toutefois la violence de la punition, peut-on aussi penser, peut avoir une vertu éducative, faire prendre conscience de la gravité de la faute commise, éviter la récidive. Quel voleur à qui l’on a coupé la main oserait recommencer ? Cependant cette vertu éducative de la punition n’est effective qu’à infliger une violence mesurée car sans cette modération la justice risque fort de s’attacher la haine ou la peur de la foule et faire violence à l’humanité des personnes, ce qui serait une profonde et chronique injustice.

La violence de la punition n’offre-t-elle pas pourtant au coupable l’occasion de se repentir, pourrait-on  arguer? Mais ici encore la repentance ne peut être effective que si la punition préserve dans le coupable l’humanité de sa personne ; elle oblige donc à une juste proportionnalité de la violence infligée légalement.

La violence légale ne peut-elle acquérir toutefois une valeur dissuasive qui la rendrait préférable en termes d’efficacité? Force est de constater que la criminalité ne diminue pas proportionnellement à l’excès de la violence légale et qu’un comportement légal extorqué par la menace méprise la dignité de l’homme, son devoir de responsabilité et le traite comme objet et non comme personne.

D’ailleurs, c’est face à ce mépris de l’homme conçu comme être responsable de lui-même parce qu’il est doué de conscience et de raison, que s’est souvent élevée une autre violence, cette fois révolutionnaire. Se fait jour alors l’idée que la violence est parfois le seul recours face à une injustice chronique et systématique d’un système juridique et politique fondé sur le mépris de la dignité de l’homme. Notons toutefois que l’exercice révolutionnaire de la violence s’est souvent aussi perverti en terreur (celle de la Révolution française bien sûr, celle du stalinisme encore).  C’est pourquoi la violence ici ne peut être qu’un moyen provisoire et préliminaire à une reconstruction tout comme le remède doit laisser place à la convalescence.

 

Conclusion :

Au terme de notre réflexion, il nous est apparu que, même dans son usage légal, la violence ne peut remédier à l’injustice qu’à être modérée et réfléchie sous peine de mépriser la dignité de l’homme et constituer, par là, la pire des injustices, surtout lorsqu’elle est instituée par la loi elle-même. Cette réflexion sur la violence nous a permis de faire surgir le critère à l’aune duquel justement la justice ne peut ni ne doit être ni vengeance passionnelle ni égalité froide et méprisante mais nœud délicat où se jouent à la fois les sentiments de l’homme et son effort pour arraisonner ses passions : sa dignité fondée sur sa conscience et sa raison.