Quelques indications de correction sur le sujet :

La vérité dépend-elle de nous ?

 

Au brouillon et à exploiter dans l’introduction.

Vérité = adéquation entre ma pensée et la réalité, entre ma représentation et la réalité

Ne pas confondre ce sens précis de la vérité et l’usage commun des « vérités » considérées comme des connaissances vraies.

Notions contraires = fausseté, erreur, illusion, mensonge…

Nous = aussi bien l’homme comme un individu avec sa subjectivité propre

qu’un groupe d’hommes en tant qu’il partage des opinions communes

ou tout homme en tant qu’il est doué de raison.

Dépendre de = avoir besoin de… pour exister, pour être, être déterminé par…

Questionnement du sujet :

Est-ce moi en tant que subjectivité particulière qui produit la vérité ou en est le critère, ou est-ce un groupe d’hommes avec ses opinions, ses préjugés, ses connaissances ou est-ce tout homme et sa raison qui la produit et en est la règle ? Ou bien la vérité est-elle indépendante de la connaissance que j’en prends et de la reconnaissance que j’en ai et constitue un idéal accessible ou non de laquelle notre connaissance essaie de se rapprocher ?

La vérité est-elle singulière, particulière, générale ou universelle ?

La vérité est-elle provisoire ou éternelle ?

La vérité est-elle un idéal que la connaissance s’efforce de rejoindre à travers ses différentes formulations ou représentations de la réalité ou cet idéal est-il inaccessible de sorte que la vérité est condamnée à n’être qu’une certaine qualité de mes représentations, une certaine vertu explicative, prédictive ou simplement représentative sans que jamais le réel ne soit atteint en lui-même ?

 

Développement.

I. A chacun sa vérité ? La vérité dépend-elle de chacun de nous ?

Face à la diversité du réel et de ses appréhensions par les individus à travers les appréciations sensibles ou à travers les sentiments, nous sommes souvent tentés de prétendre que la réalité est changeante, provisoire et particulière de sorte que la vérité est relative à chacun de nous, relative à chaque observateur. Tel est le point de vue notamment des sophistes dans l’Antiquité qui, comme Protagoras, soutiennent que « l’homme est la mesure de toutes choses ». Ils entendent par cette formule que la réalité dépend de l’appréhension que chaque individu en a. Le présupposé de ce jugement est que la réalité est essentiellement sensible, objet de sensations et de sentiments dépendants de la particularité de chacun d’entre nous. La raison n’est plus alors ici que l’instrument des opinions qui conviennent à nos intérêts et établir la vérité consiste à persuader les autres des opinions qui nous sont utiles. La réalité étant particulière ou singulière, la vérité n’est plus que la propriété d’un discours subjectif qui s’efforce de l’emporter l’adhésion de l’auditoire.

Le problème que pose une telle conception de la vérité est d’abord indiqué par les conséquences pratiques d’une telle conception : la raison et la prétendue vérité ne sont plus que les instruments des opinions subjectives particulières et ces opinions restent sans autre norme que le triomphe de l’orateur sur le public. La recherche du pouvoir sur l’auditoire se substitue à la recherche de la vérité. La vérité n’est pas à découvrir mais une opinion à construire et à imposer. Or les opinions sont diverses puisque particulières, elles sont par ailleurs changeantes comme mon humeur ou mes intérêts de sorte que le sophiste doit se faire fort de soutenir n’importe quel point de vue sur n’importe quel sujet. Le critère de la vérité est ici le succès de la persuasion.

La conséquence théorique d’une telle conception de la réalité est que la vérité est alors elle-même changeante, provisoire et particulière. Ainsi on ne peut savoir si une chose est ce qu’elle est ou son contraire que par le succès du discours. Or si l’on considère qu’en pratique l’orateur a la capacité de persuader son auditoire de ces deux opinions contradictoires, alors ces deux opinions ne sont ni plus vraies ni moins vraies que l’autre et la vérité se réduit à la représentation que j’en ai et que je parviens à en imposer aux autres. La vérité se dissout dans l’apparence que j’en ai et que j’en donne ou en impose aux autres de manière provisoire.

Mais le réel peut donner tort à cette apparence comme la défaite donna tort au sophiste Alcibiade contre Nycias malgré l’opinion de l’assemblée des citoyens d’Athènes persuadés par ce sophiste de l’opportunité de faire la guerre à Sparte. Et le retour au réel reste la règle de la vérité des apparences. A vouloir faire triompher les opinions, la pensée se meut dans un monde d’ombres et d’apparences changeantes comme celles que critique Platon dans l’allégorie de la caverne au livre VII de sa République. Le réel lui-même rappelle à l’ordre l’opinion dans sa prétention à la vérité.

De plus à prétendre que cette chose est blanche ou non blanche selon mon opinion et le succès de celle-ci sur l’auditoire, alors « blanc » ne signifie plus rien du tout, il s’agit moins de dire ce qu’est la réalité que de se persuader qu’elle est telle ou telle. La pensée n’est plus qu’une source habile et intelligente d’illusions, qui contredit le principe de contradiction en se donnant le droit d’utiliser dans le raisonnement n’importe quelle prémisse : tel sont le sophisme et le paralogisme.

En outre peut-on faire du consensus que reçoit mon opinion le critère de sa vérité ? N’est-ce pas plutôt parce que mon opinion est vraie qu’elle devrait faire l’objet d’un accord réel du public et qu’elle peut faire l’objet d’un accord possible de tous ?

Ainsi, à vouloir considérer la vérité comme dépendante de nous comme individu particulier ou comme communauté consentante à la persuasion d’un orateur, on se rend capable de tolérer des opinions même dangereuses ou incohérentes avec la réalité pourvu qu’on en persuade une communauté et l’on s’autorise à nier le principe de contradiction condamnant ainsi la pensée à ne régner que sur des illusions. Si la vérité dépendait de nous, il n’y aurait plus de vérité ! Cette contradiction nous indique que si la vérité existe, elle est indépendante de moi, de mon opinion fondée sur l’apparence qui m’est utile et du consensus que je parviens à extorquer du public que l’objet de ma connaissance soit général ou singulier. Mais alors ce critère de la vérité indépendant de ma singularité ou de ma particularité existe-t-il ?

II. Comment accéder à la vérité si elle ne dépend pas de nous ?

C’est justement contre le relativisme des sophistes que Platon s’est efforcé de promouvoir l’accès à un savoir extérieur aux préjugés et aux hypothèses particulières par l’intermédiaire d’une dialectique qui a pour but la destruction des illusions, des ombres de la connaissances. La raison n’est pas alors l’instrument de l’illusion qu’il faut étayer par des raisonnements mais l’instrument qui permet de se débarrasser par des réfutations des illusions liées à notre sensibilité et à nos opinions. La raison apparaît comme l’instrument d’un dévoilement où il s’agit de lever peu à peu les illusions des apparences de notre sensibilité et de nos opinions. Mais la vérité peut-elle surgir par elle-même au terme de ce dévoilement ? Peut-elle s’imposer d’elle-même comme une évidence indépendante de nous ? Surgira-t-elle nue ?

Dans une telle recherche de la vérité qui suppose un retour sur soi, la vérité n’est pas donnée mais à conquérir. Quels sont les instruments de cette conquête ?

La sensibilité, comme le constate Descartes au début des Méditations Métaphysiques est la faculté de laquelle il me semble que je tire les connaissances les plus assurées. Pourtant, ajoute-t-il aussitôt, les sens me trompent parfois, non seulement en raison de ma subjectivité singulières mais du fait d’illusions explicables, communes à la sensibilité de tous les hommes.

Par ailleurs, la sensibilité ne me livre pas ce qu’est la chose même mais uniquement son apparence changeante, le phénomène. Ainsi, si je m’en tenais aux seules informations de mes sens, je ne pourrais savoir ce qu’est un morceau de cire (fin de la deuxième méditation de Descartes) qui change de solide à liquide, d’odorant à inodore, de jaunâtre à brun, etc sous l’effet d’une flamme. Comment alors la raison qui juge à travers ces impressions sensibles ce qu’est la réalité peut-elle accéder à une représentation vraie de la réalité ?

Quelles sont les conditions de l’indépendance de la vérité ?

Pour ne pas dépendre des conditions particulières de l’observation, donc pour ne pas dépendre de nous, l’empirisme lui-même (contre lequel Descartes pourtant s’élevait) exige certaines précautions dans nos observations. Il faut faire varier les conditions d’observation de façon à isoler les facteurs singuliers qui faussent les lois universelles (valables pour tous les phénomènes de même type) que nous cherchons à établir. L’observation devient ainsi à proprement parler expérience. En effet, l’observation est simplement passive alors que l’expérience, comme le rappelle l’article « Expérimental » de l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert, est active, pose des questions à la nature et la presse d’y répondre. Mais comment évaluer que tous les facteurs pouvant influer sur le phénomène que l’on cherche à observer ont bien été identifiés ? Comment savoir que les objets que l’on observe, ou que l’on traduit en expériences ont été correctement définis ?

Considérons un exemple. La théorie de la gravitation universelle de Newton est extrêmement efficace pour prédire certains phénomènes de sorte que le concept de force de gravitation semble correspondre à une réalité, semble vrai pour décrire la réalité. Pourtant dès que l’on observe certains phénomènes dont la vitesse est si élevée qu’elle est très proche de celle de la lumière la théorie de Newton devient inopérante, ce qui a conduit Einstein à faire l’économie du concept de force de gravitation pour lui préférer celui de courbure de l’espace et l’a amené à substituer à la notion de temps absolu la notion de relativité et à faire du temps une quatrième dimension des phénomènes mis en équation à travers les lois universelles de la science, même si la complexité de ces équations fait que les scientifiques n’y recourent que pour les phénomènes dont la théorie newtonienne ne permet pas de rendre compte.

Cet exemple nous permet de comprendre que les concepts scientifiques produits par la raison, pourtant commune à tous les hommes, ne sont pas suffisants pour représenter ce qu’est la réalité de manière adéquate mais sont évalués en fonction des problèmes qu’ils permettent de résoudre. Une théorie scientifique n’est donc jamais qu’un modèle de compréhension de la réalité dans le but de résoudre certains problèmes mais ne peut pas être considérée de manière définitive comme la représentation adéquate de la réalité. Elle nous donne les instruments intellectuels qui nous permettent d’agir et de prédire mais ces concepts sont inaptes à nous dire ce qu’est cette réalité en elle-même.

D’une manière plus générale, Kant explique que la réalité n’est jamais perçue et connue qu’à travers le filtre des concepts qu’utilise notre entendement (faculté de juger) : nous ne connaissons donc pas la réalité telle qu’elle est en elle-même mais uniquement notre manière de la connaître.

Alors ou bien l’on concède que la vérité dépend de nous comme communauté rationnelle, qu’elle dépend de nous comme être rationnel (et non plus comme simple individu particulier ou comme communauté partageant une même opinion), ou bien l’on considère la vérité comme un idéal, un horizon probablement inaccessible et nos connaissances sont alors un effort pour tendre vers cet horizon à mesure que nous résolvons davantage de problèmes.

 

Conclusion.

Ainsi, nous avons pu montrer que la vérité ne peut pas dépendre de nous comme individu particulier ou comme communauté partageant une opinion, sinon elle n’existerait pas. Mais inversement nous avons montré que si la vérité ne dépend pas de nous comme être rationnel qui ne perçoit la réalité qu’à travers des concepts produits par la raison, alors elle demeure inaccessible comme représentation adéquate de la réalité. Il semble en tout cas que le critère minimal de la vérité est qu’elle puisse faire l’objet d’un accord universel fondé sur la raison et confirmé par l’expérience. Mais l’hétérogénéité entre mon discours et la réalité semble indépassable, le réel et la pensée ne peuvent se rejoindre en la raison de l’homme, condamné à proposer des représentations cohérentes de la réalité sans jamais pouvoir atteindre la vérité.