Suis-je responsable de ce dont je n’ai pas conscience ?
Plan détaillé et partiellement rédigé
I.
Les conditions de la responsabilité : la responsabilité suppose la
conscience. L’absence de conscience serait donc bien un motif
d’irresponsabilité.
1) Etre
responsable = être capable de répondre de, de justifier, de rendre compte de
ses actes ou des personnes dont on a la responsabilité.
Pour exercer ma
responsabilité il faut donc que je sois conscient mais ne puis-je exercer
consciemment ma responsabilité sur des actes dont je n’étais pas conscient ou
dont je suis pas sûr d’être conscient à l’avenir ou dont je suis
ignorant ?
2) Toutefois
différents types de responsabilité.
Responsabilité
civile : obligation de réparer les torts
faits à autrui soit de mon fait propre soit du fait de ceux dont je dois
répondre (enfants mineurs, élèves, apprentis, etc.). En droit civil, peu
importe l’intention, je suis responsable d’un acte même si je n’en suis pas
l’auteur direct. La responsabilité revient ici assumer ce que je dois
prévoir ou ce à quoi je dois être vigilant.
Responsabilité
pénale : obligation de supporter la sanction
d’une infraction (crime, délit ou contravention). En droit pénal, l’intention
(le dol) peut suffire à constituer une infraction même s’il n’y a pas eu de
préjudice remarquable (« griller » un stop sans provoquer
d’accident). Etre responsable ici c’est être coupable.
Responsabilité
morale : elle est engagée par la
responsabilité pénale. Elle est la solidarité entre ma personne et mes actes.
Elle implique que je sois libre d’agir et de penser. Ma responsabilité pénale
varie en fonction de ma responsabilité morale et de mon degré de
conscience : un homicide involontaire, une négligence ayant entraîné la
mort mais que j’aurais pu ou dû éviter seront quand même moins sévèrement punis
qu’un meurtre (homicide volontaire) ou qu’un assassinat (meurtre avec
préméditation). La loi prévoit même une atténuation voire même une annulation
de la responsabilité en fonction du degré de conscience de l’auteur d’un
acte :
« N'est pas
pénalement responsable la personne qui était atteinte, au moment des faits,
d'un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le
contrôle de ses actes.
La personne qui était atteinte, au moment des faits, d'un trouble psychique ou
neuropsychique ayant altéré son discernement ou entravé le contrôle de ses
actes demeure punissable ; toutefois, la juridiction tient compte de cette
circonstance lorsqu'elle détermine la peine et en fixe le régime. » (Code
pénal, article 122-1)
3) Degrés de
conscience et degrés de responsabilité.
Plus précisément,
il est question ici de « discernement » et de
« contrôle » des actes :
-
être conscient de l’origine de son
acte et en être la cause : l’avoir voulu
-
être conscient de son acte : en
discerner le sens et pouvoir s’en empêcher
-
être conscient des conséquences de
son acte : faire preuve de discernement encore et être capable d’anticiper
et de connaître les conséquences de ses actes
Ces trois formes
de la responsabilité entraînent trois formes de tentatives de
disculpation :
-
je l’ai fait malgré moi, sans le
vouloir ou je ne l’ai pas fait exprès
-
je ne me rendais pas compte de ce
que je faisais, de la gravité de mon acte
-
je ne prévoyais pas de telles
répercussions
4) Toutefois
responsabilité ne signifie pas nécessairement culpabilité :
Si une personne
est responsable d’un acte qu’elle accomplit sous la menace car, en fin de
compte, elle préfère éviter de souffrir ce dont on la menace plutôt que de
s’abstenir de commettre l’acte qu’on va lui reprocher, en revanche une personne
n’est pas responsable d’un acte qu’elle commet sous l’effet d’une contrainte
irrépressible, « sous
l'empire d'une force ou d'une contrainte à laquelle elle n'a pu résister »
(article 122-2 du Code pénal).
Ainsi le degré de
responsabilité semble varier en fonction du degré de conscience de l’acte dans
son origine, dans son accomplissement et dans l’anticipation de ses
conséquences. Mais est-il si simple d’être exempté de la responsabilité de ses
actes ? Dans quels cas peut-on invoquer l’inconscience comme cause de
l’irresponsabilité ou comme moyen de se disculper ?
II.
La question de la responsabilité dans les différentes formes et les différents
degrés de l’inconscience.
1)
Toute conscience suppose une forme
d’inconscience par limitation de mon champ de conscience.
Par l’intention qui anime ma conscience, je focalise mon attention sur un objet particulier mais du même coup je suis conduit négliger les autres objets possibles de cette attention. Comme l’explique Jean-Paul Sartre, ma conscience néantise tout ce qui ne l’intéresse pas maintenant, elle le réduit à une sorte de néant qui n’est pas rien puisque je peux en reprendre conscience. Ainsi s’explique la négligence de celui dont la conscience est accaparée par une intention et un objet et reste distrait de ce qui entoure cet objet voire inconscient de sa propre attitude. Or cette négligence peut poser la question de la responsabilité car on pourra me reprocher de n’avoir pas été ouvert à d’autres sujets de préoccupation. Ainsi le conducteur concentré sur ses soucis, son sandwich ou son émission de radio préférée devient distrait au volant et dangereux ; il est responsable alors de la perte de vigilance associée à son inconscience corrélative de sa conscience.
Ainsi, ce n’est
pas parce que tout acte de conscience suppose une inconscience à la frange de
l’objet de mon attention que je ne suis pas responsable de cette inattention et
de ce qui se passe dans cet hors-champ de ma
conscience, fond provisoirement indistinct.
Cette réalité de la conscience dicte donc pour ma responsabilité une attitude de prudence : je ne peux me laisser emporter par ma concentration sur un objet ou ma distraction que si le reste de la situation n’exige pas d’y être attentif. Par exemple, je ne laisserais pas mes enfants sans surveillance au bord de la mer sous prétexte que ma meilleure amie doit me faire une révélation de la première importance me concernant !
2)
L’inconscience peut être aussi le
fait de la mauvaise foi.
Cette focalisation de ma conscience sur un objet particulier peut être pour moi le moyen de me détourner de ma responsabilité : ainsi, sous prétexte de faire mon travail avec zèle, je me rendrais insensible à la souffrance d’autrui. Occulter le sens d’une situation sous prétexte de se focaliser sur l’objet de son intention conduit aux pires erreurs, aux pires atrocités aussi. Par exemple, le père de famille sous prétexte de travailler beaucoup pour fournir à ceux qu’il aime le meilleur confort possible finit par ne plus se rendre compte que son absence nuit au bonheur de ses proches. Il est responsable de son obsession professionnelle et de sa soif démesurée de réussir et il ne peut se disculper derrière les déterminismes exercées par la société. C’est lui qui accepte de succomber à ces déterminismes dont l’emprise n’est pas nécessaire bien que la pression exercée soit omniprésente. Il en va de même de toutes les influences que l’on peut subir, notamment des êtres proches, et qui exercent sur chacun de nous un pouvoir considérable. C’est d’ailleurs pourquoi, corrélativement, chacun de nous est responsable de l’influence qu’il exerce sur toutes les personnes dont il a la charge parce qu’elles ne sont pas encore autonomes encore intellectuellement.
3)
Mais en elle-même toute pensée
n’est-elle pas constituée d’inconscience de manière structurelle ?
Toute pensée
consciente suppose des perceptions qui s’insèrent en elle sans que j’en ai conscience : ainsi, je ne cesse d’entendre le bruit
du torrent au bord duquel je vis même si je n’en suis pas conscient. De même,
la perception consciente d’un phénomène composé suppose que je perçoive la
multitude des parties qui le composent bien que je ne sois pas conscient de
chacune de ces parties. Cf. Leibniz dans ses Nouveaux essais sur
l’entendement humain. Ainsi on peut supposer qu’au cours d’une journée et
même d’un temps beaucoup plus long ma conscience emmagasine une multitude de
perceptions dont je prends pas forcément conscience
mais qui finissent par influencer ma pensée et ma personnalité avant même que
je m’en rende forcément compte. Mon identité réelle ne se confond pas avec mon
identité consciente qui n’est que la synthèse de ce que je suis réellement. On
comprend mieux alors le mécanisme par lequel résistant à certaines influences
que je subis parce que je sais m’en détourner, ne pas y prêter intention, je
finis néanmoins par en subir le poids d’autant plus sûrement que la prise de
conscience est brutale. Ainsi s’explique ma colère subite sous l’effet d’une
accumulation de contrariétés suffisamment anodines pour que je ne m’attarde pas
sur elles mais dont la somme est finalement déterminante. On peut alors
comprendre que, bien que conscient de mes actes, leur cause véritable
m’échappe, que j’en suis plus l’agent que l’auteur. Pourtant n’attendra-t-on
pas de ma part que je sois capable de maîtriser ces réactions
conscientes ?
4)
Les déterminismes culturels et
sociaux.
Comment puis-je
être entraîné à participer aux pires atrocités sans prendre conscience de la
gravité de mes actes ? La banalité du mal. Faire comme les autres et
renoncer à prendre conscience de la valeur de ses actes et de leurs
conséquences (cf. Hannah Arendt Eichmann à Jérusalem).
5)
Responsabilité et ignorance comme
forme d’inconscience.
Je peux être ignorant des implications et
des conséquences de mes actes dans la mesure où je ne suis pas omniscient.
Ainsi je ne peux prévoir toutes les conséquences de mes actes dans
l’entrecroisement imprévisible des séries de causes et d’effets et dans la
mesure où il n’est pas possible d’identifier tous les facteurs qui
interviennent sur une situation. Dès lors je ne peux être tenu pour responsable
de toutes ces conséquences. Et pourtant à mesure de mes pouvoirs, on va
m’engager à être le plus prévoyant possible à défaut de pouvoir prédire.
Mais alors quelles limites pour ma responsabilité ?
III.
La responsabilité : un principe à étendre. Etre responsable c’est non pas
seulement « être capable de répondre de quelque chose » mais
« se rendre capable de répondre de ».
1)
Vigilance.
Je suis tenu
d’être vigilant aux situations dans lesquelles je vis et la focalisation de ma
conscience ne doit pas me faire oublier mes responsabilités par rapport à ce
qui constitue mon environnement qu’il soit matériel ou humain.
2)
Prévoyance.
Je ne peux
prévoir toutes les actions des personnes dont je suis responsable ni toutes
mésaventures
dans lesquelles les biens dont j’ai la charge peuvent être engagés. A moi
d’éduquer ces personnes et d’être le plus prévoyant possible par rapport à ce
qu’ils peuvent accomplir comme à ce qui peut arriver aux biens dont j’ai la
charge. Si je ne suis pas coupable, je suis
responsable de la prévoyance et de la prudence dont je peux faire
preuve.
3)
Connaissance du monde.
Je ne peux me
contenter de vivre dans l’insouciance à une époque où les moyens d’information
me permettent d’étendre mes connaissances et de mieux mesurer les conséquences
de mes actes ou de mon inaction.
4)
Connaissance de soi.
Je suis responsable de ce que je suis et il
me faut m’efforcer de me connaître plutôt que de me cacher derrière un
caractère dont je prétends ne pouvoir être le maître. Face aux résistances plus
profondes de l’inconscient qui selon Freud me constitue, certes cette tâche est
plus difficile mais il m’appartient de tout mettre en œuvre pour engager une
thérapie par laquelle à défaut de pouvoir guérir j’apprendrai à vivre avec
cette maladie qui affecte mon comportement.
Conclusion :
L’inconscience
peut qualifier un grand nombre de réalités fort différentes : un défaut de
conscience dont je peux être la cause (négligence, distraction, ignorance) mais
aussi des conditionnements créant des habitudes intellectuelles et
comportementales dont je ne parviens plus guère à prendre conscience pour m’en
affranchir ou bien encore des pensées et des désirs inconscients enfouis
durablement dans mon psychisme et qui me déterminent dans mes choix et mes
actes malgré moi. La responsabilité à l’égard de ces différentes formes
d’inconscience et des actes que je commets sous leur effet varie donc en
fonction du pouvoir que je peux exercer sur elles. S’il est clair que le champ
de ma responsabilité s’étend au-delà du champ de ma conscience, c’est moins
souvent parce que je suis coupable que parce que la responsabilité est un devoir
de prise de conscience par lequel j’accomplis mon humanité.