Exemple d'explication de texte.

Pour les séries technologiques : la dernière question, celle de discussion n'est pas ici abordée. Il est en outre rappelé que, pour ces séries, les questions qui figurent sur le sujet de type bac ne sont là que pour rappeler certaines tâches que l'explication doit accomplir; en aucun cas le devoir ne doit se contenter de répondre à ces questions.

Texte

" La paresse et la lâcheté sont les causes qui font qu'un aussi grand nombre d'hommes préfèrent rester mineurs leur vie durant, longtemps après que la nature les a affranchis de toute direction étrangère (naturaliter majores [naturellement majeurs]) ; et ces mêmes causes font qu'il devient si facile à d'autres de se prétendre leurs tuteurs. Il est si aisé d'être mineur ! Avec un livre qui tient lieu d'entendement, un directeur de conscience qui me tient lieu de conscience, un médecin qui juge pour moi de mon régime, etc., je n'ai vraiment pas besoin de me donner moi-même de la peine. Il ne m'est pas nécessaire de penser, pourvu que je puisse payer ; d'autres se chargeront bien pour moi de cette ennuyeuse besogne. Les tuteurs, qui se sont très aimablement chargés d'exercer sur eux leur haute direction, ne manquent pas de faire que les hommes, de loin les plus nombreux (avec le beau sexe tout entier), tiennent pour très dangereux le pas vers la majorité, qui est déjà en lui-même pénible. Après avoir abêti leur bétail et avoir soigneusement pris garde de ne pas permettre à ces tranquilles créatures d'oser faire le moindre pas hors du chariot où ils les ont enfermées, ils leur montrent le danger qui les menace si elles essaient de marcher seules. "

Kant Réponse à la question " Qu'est-ce que les Lumières ? "

Explication
[Thème, problème, thèse, enjeu du texte.]
Le thème de texte est l'autonomie de la réflexion de l'homme adulte. Kant s'efforce de résoudre le problème suivant : comment se fait-il que les hommes ne se servent pas de leur raison de manière autonome alors qu'ils sont depuis longtemps en âge de le faire. Pour résoudre ce problème, l'auteur soutient la thèse selon laquelle la paresse et la lâcheté sont les deux causes d'un double effet : la facilité avec laquelle la plupart des hommes acceptent de se laisser diriger et la facilité avec laquelle quelques hommes profitent de cette paresse des autres pour exercer sur eux une tutelle. L'enjeu de ce texte est la manipulation dont les hommes deviennent victimes dès lors qu'ils renoncent à leur liberté de pensée par crainte ou par paresse.
Kant commence par exposer sa double thèse puis il en explique successivement chacun des deux aspects pour montrer combien il est devenu difficile alors pour la plupart des hommes de sortir de cet état de tutelle.

[Etapes de l'argumentation et éléments d'explication.]
Kant commence par présenter cette thèse dans une première longue phrase. La paresse, c'est-à-dire la répulsion à fournir des efforts, à changer d'état, et la lâcheté, c'est-à-dire la peur d'assumer les conséquences imprévisibles de ses actes, seraient les conditions nécessaires et suffisantes à la fois de la minorité de la plupart des hommes et de ce que quelques-uns en profitent pour s'ériger en tuteurs. Le terme " mineurs " est à comprendre ici en un sens métaphorique par rapport à la notion de minorité juridique, c'est-à-dire la période de la vie durant laquelle l'individu est présumé manquer des capacités ou de l'expérience nécessaires à l'exercice de certaines responsabilités parce qu'il est incapable de se gouverner seul par lui-même. A contrario, la majorité désigne l'âge à partir duquel on est réputé capable de se gouverner soi-même par rapport aux exigences de la réalité et à celles, juridiques et civiles de la société.
Cet état de minorité pourtant n'a pas lieu d'être : " longtemps après que la nature les a affranchi de toute direction étrangère ", explique Kant. Cela signifie que, naturellement, la croissance physique (naturelle) de l'individu le conduit à développer ses facultés de sorte qu'il a atteint, adulte, l'âge à partir duquel on l'estime capable de penser par lui-même et d'exercer ses propres responsabilités. Cette direction étrangère dont se libère tout homme passant à l'âge adulte est la tutelle de ses parents. Or la servitude* de la plupart des hommes est en contradiction avec ce développement spontané de l'individu vers sa maturité. Nous pouvons par ailleurs nous demander si, autant que la nature, l'éducation ne joue pas un rôle fondamental dans l'acquisition plus ou moins précoce de cette autonomie intellectuelle. Et sans doute cette éducation constitue pour les tuteurs qu'évoque Kant l'un des moyens les plus efficaces pour asservir les autres hommes. D'une manière plus générale, on peut aussi se demander sur les conditions qui permettraient à une éducation de n'être pas qu'un dressage, qu'un conditionnement.
Dans la seconde partie de cette première phrase, Kant formule la deuxième partie de sa thèse : cette inclination (tendance) de la plupart des hommes à rester mineurs et à se laisser guider produit un effet corrélatif (réciproque) : la facilité pour certains hommes de devenir les " tuteurs " de cette foule de mineurs. " Tuteurs " est ici aussi à comprendre en un sens métaphorique par rapport à son sens juridique. Le tuteur guide, conseille et est responsable du mineur et cette responsabilité il est censé l'exercer avec bienveillance, dans l'intérêt du mineur.
Mais comment est-il possible qu'autant d'hommes se laissent ainsi aller à être gouvernés ? C'est à cette question que Kant va maintenant s'efforcer de répondre.

Dans un deuxième temps, en effet, Kant va expliquer et justifier la première partie de la thèse : en quoi la paresse conduit la plupart des hommes à rester des assistés.
Kant commence par argumenter l'idée que la paresse est cause de ce qu'il appelle la " minorité " de la plupart des hommes en soulignant la facilité de se contenter de se laisser guider : " Il est si aisé d'être mineur ! ". Il annonce ainsi par cette brève exclamation la première étape de son argumentation. L'exclamation, l'usage de la marque d'intensité "si aisé" et la brièveté de cette proposition renforcent d'ailleurs l'évidence de cette facilité tout comme la multitude (" etc ") d'exemples que chacun pourrait donner pour illustrer cette idée. Ces exemples sont rédigés à la première personne du singulier pour que le lecteur s'identifie au mineur de sorte que ces exemples lui paraissent plus convaincants.
Notons en outre que les trois exemples cités concernent trois aspects importants de notre vie : comprendre le monde, son origine, son sens (" livre qui me tient lieu d'entendement " comme pourrait l'être la Bible - aujourd'hui, pour beaucoup ce rôle est joué par l'internet et la suprématie de certains moteurs de recherche), savoir ce que nous devons faire (le " directeur de conscience " est, au XVIIIème siècle, un prêtre qui me guide moralement) et ma santé (" un médecin qui décide pour moi de mon régime "). Kant tire alors une conséquence de ces exemples, il généralise ou en induit cette idée : en échange d'argent, je n'ai pas à me donner la peine de penser par moi-même.
Nous pouvons nous demander s'il n'est pas pourtant plus raisonnable de se laisser conseiller par des spécialistes dans des domaines où nous ne sommes pas compétents. Toutefois cette prudence cache en général une paresse à penser par soi-même, à assumer pleinement cette spécificité humaine qui est la liberté de penser. Cette mise en garde de Kant est donc d'abord une incitation à être des hommes et non des enfants, à comprendre les conseils qu'on nous donne, à rester vigilants plutôt qu'à se laisser manipuler. Il peut paraître choquant enfin que les hommes payent pour déléguer cette mission de penser par soi-même alors qu'elle est une aptitude par laquelle l'homme se distingue dans la nature.

Après avoir ainsi montré comment la plupart des hommes se laisse aller à cet assistanat, Kant, explique le second aspect de sa thèse. Il décrit le procédé utilisé par les tuteurs pour prendre la direction des mineurs. Les tuteurs sont présentés par Kant avec ironie comme des guides " aimables " s'acquittant de " cette charge ", de ce " travail ennuyeux " qui est en même temps "une haute direction de l'humanité" c'est-à-dire un gouvernement présenté comme habile et respectable. Ils manipulent l'opinion des mineurs et leur font croire (" tiennent pour ") que penser par soi-même est dangereux. Mais comments'y prennent-ils?
Les procédés utilisés par les tuteurs sont énumérés dans la dernière phrase de notre extrait. Ils ont ainsi " abêti leur bétail " en leur retirant les occasions de penser par eux-mêmes. Ensuite ils ont tué dans l'oeuf toute velléité de liberté en interdisant non pas toute divergence mais en allant jusqu'à rendre impossible et illicite d'envisager que l'on puisse ainsi s'écarter des règles imposées. Kant dévalorise l'attitude de la plupart des hommes, les " mineurs ", à travers la métaphore du " bétail " " abêti " et décrit l'homme devenu naturellement adulte comme un enfant qui en serait encore aux balbutiements de l'apprentissage de la marche comme l'indiquent le "chariot" probablement un trotteur pour petit enfant et l'expression "marcher seules" qui clôt l'extrait.

 
[Conclusion]
Ce texte de Kant est toujours d'une actualité. En effet de nos jours la plupart des hommes se laissent encore guider par des tuteurs qui utilisent des moyens efficaces : sous couvert d'information, le pouvoir politique se sert des media en général (ce qu'on appelle le quatrième pouvoir) comme moyen de propagande, le pouvoir économique tend à nous réduire à des vaches à lait, consommatrices et laborieuses, qui croient que le bonheur réside d'abord dans un niveau de vie élevé où l'on est capable de se procurer n'importe quoi même le plus inutile ou le plus superficiel. On comprend mieux alors le rôle que doit jouer la pluralité des media dans une société démocratique, le rôle des contre-pouvoirs (intellectuels, écrivains, syndicats, partis de l'opposition politique). On comprend mieux aussi l'importance d'une éducation qui ne nous forme pas qu'à être simples travailleurs mais des hommes libres au sens d'autonomes c'est-à-dire capables de jouer un rôle dans le gouvernement de leur vie et dans le gouvernement de leur cité.