origine, point de départ, cause, raison, principe

On peut opposer la discussion aussi bien au silence en tant qu'elle est parole qu'au dogmatisme en tant qu'elle est une mise en question:

Si la discussion manifeste des buts très divers allant du plaisir de converser à la recherche de la vérité en passant par la séduction ou la domination, elle apparaît en même temps comme le lieu d'un échange d'opinions et d'une confrontation d'idées sans laquelle nous ne sortirions pas du silence ou du dogmatisme. C'est pourquoi nous pouvons nous demander si la discussion est source de vérité, si elle en est l'origine, le point de départ voire le principe ou la cause. Discuter, c'est prendre le risque mutuel d'exposer au jugement d'autrui et à la sagacité de ses arguments notre propre opinion ou notre jugement. C'est appeler explications et justifications, c'est aussi mettre en question l'opinion ou le jugement d'autrui. De cette effervescence, on peut espérer que jaillisse la vérité mais on peut craindre aussi que la discussion ne soit qu'un lieu où s'extériorisent des propos désinvoltes, des désirs antagonistes ou des ambitions de domination. La discussion est-elle seulement l'occasion de la recherche de la vérité, occasion qui peut être ratée ou en est-elle le lieu essentiel mais à quelles conditions? La discussion n'a-t-elle pas besoin d'être canalisée par les règles du discours et de la logique autant qu'irriguée par de bonnes intentions? C'est pourquoi nous nous demanderons dans quelle mesure la discussion est indispensable à la recherche de la vérité et à sa naissance puis si elle peut être pervertie de cette finalité et sous quelles conditions elle peut se préserver de ce détournement.

I. La discussion apparaît comme une souce de vérité, c'est-à-dire son origine.

1) La discussion en tant qu'elle est parole est nécessaire à l'exposé de la vérité puisque toute vérité consiste dans un jugement à propos de la réalité.
Mais il n'est pas facile de se dévoiler, d'avouer et certaines paroles sont difficiles à comprendre.
2) La discussion en tant qu'échange de paroles permet de questionner et de répondre, facilite du coup l'aveu et écarte de la complaisance du monologue
que ce soit celui qui a du mal à livrer ses sentiments du fait de sa timidité ou de sa pudeur
ou celui qui résite à parler parce qu'il n'ose reconnaître certains faits ou certaines pensées (la discussion permet de mettre en confiance et d'éviter toute complaisance) ou au contraire (la discussion peut être le moyen d'obtenir des aveux dans un interrogatoire).
Le paradigme de ce pouvoir de la discussion consiste en ce pouvoir d'accoucher de la vérité (maïeutique socratique).
3) La discussion, en tant qu'elle est critique, évite le dogmatisme qui fige les théories, les doctrines en pseudo-vérités indiscutables.
La discussion peut même être regardée comme le modèle de la démarche heuristique ou scientifique. le raisonnement expérimental apparaît comme une discussion entre des thèses admises et des faits polémiques auxquels répond une nouvelle hypothèse elle-même mise en question à travers l'expérience.

Transition:

Mais si la discussion apparaît comme le point de départ, la source possible d'une vérité qui ne se contente pas de l'immédiateté de l'opinion ou du dogme, elle peut être contaminée ou détournée par des mensonges, des manipulations oratoires et devenir le véhicule de la violence ou l'instrument de la recherche du pouvoir. La question devient : la discussion en elle-même est-elle impropre à produire la vérité ou ce détournement, cette perte de vérité n'est-elle qu'une perversion externe de la nature même de la discussion.

II. La discussion n'est pas source de la vérité ou du moins cette source est fragile,sensible à la pollution..

1) La discussion peut n'être qu'un bavardage dans lequel la vérité n'est pas le premier souci. Il y importe davantage de communiquer y compris à travers des clichés, des stéréotypes, des préjugés.
2) La discussion peut être le théâtre d'affrontements et de quiproquos qui viennent du moyen utilisé dans cette relation : la langue et les mots que nous utilisons en effet comportent une certaine équivocité et les paroles que nous inventons ne sont pas toujours très adroites.
3) La discussion comme débat vise souvent à persuader un auditoire et à vaincre un adversaire par tous les moyens verbaux et communicationnels possibles. La discussion devient le terrain et l'instrument de la manipulation rhétorique.

Transition:

Devant ce paradoxe, la question se pose alors de savoir à quelles conditions la discussion peut amener à la vérité ou en être la résurgence.

III. A quelles conditions la discussion est-elle source de vérité?

1) Le respect des règles de la logique et la correction du discours sont nécessaires pour éviter les erreurs et les incompréhensions et ainsi renoncer à un discours dilettante et paresseux ou à un dialogue de sourds pouvant déboucher sur des conflits. Mais ces qualités formelles ne suffisent pas car elles peuvent être utilisées à mauvais escient.
2) Les intentions des locuteurs doivent viser le surgissement de la vérité, la conviction, le fait de vaincre ensemble, ce qui suppose que les interlocuteurs se considèrent comme des amis possibles à travers leur amour du savoir.
3) Il faut conserver et cultiver le souci constant d'accepter la mise en question à l'instar de la falsifiabilité des théories scientifiques selon Popper.

Conclusion:

La discussion en elle-même n'est pas par nature source de vérité mais dévoilement autant qu'écran (le mot écran lui-même présente cette dualité de sens : ce qui cache mais aussi ce qui montre). En revnahce, elle apparaît comme une condition de la recherche de la vérité: sans elle, le discours se transforme en dogme, la manipulation oratoire reste sans critique. C'est pourquoi il apparaît nécessaire de cultiver la discussion selon les règles de la logique et guidée par le souci de la vérité, vérité qui ne vaut que parce qu'elle accepte la discussion.