Sujet : Le désir est-il la marque de la misère de l'homme?

Introduction

Le désir n'a pas la sobriété apparente du besoin : il est un manque mais il ne se contente pas d'un genre d'objet parce que son manque porte sur quelque chose de précis. Il apparaît souvent décevant sitôt satisfait de sorte qu'il renaît et semble insatiable. N'est-il pas alors une forme d'esclavage vain qui marque c'est-à-dire manifeste la misère de l'homme voire même en est la cause? En quel sens le désir exprimerait-il cette misère? Comme indigence? Comme insatisfaction et frustration? Comme esclavage? Ou bien l'homme a-t-il la capacité de le maîtriser et d'en exploiter le dynamisme? Le désir n'est-il pas alors l'expression d'une ambiguïté ou d'un paradoxe fondamental de la condition humaine?

Plan

I. Le désir manifeste la misère de l'homme.
1) Le désir est un manque. Il manifeste les limites de l'être humain et lui rappelle tout comme le besoin sa finitude et son animalité.
2) Pire encore, alors que le besoin est facilement satisfait, le désir est insatiable; sa satisfaction est de courte durée voire décevante de sorte qu'il renaît identique ou sous une autre forme ou en se portant vers un autre objet. Le besoin désire être satisfait, le désir désire se satisfaire.
3) Le désir est donc source d'une satisfaction éphémère et imparfaite : il rend l'homme superficiellement et provisoirement heureux et le pousse à un renouvellement lassant de ses efforts.
4) Le désir est alors condamné à la surenchère consumériste en multipliant ses objets et son véritable objectif apparaît comme un au-delà inaccessible qui condamne l'homme à une frustration perpétuelle. Le désir asservit l'homme à une quête sans fin d'un objet inaccessible par laquelle le désir se mue en une passion où se perd la conscience de l'homme.

Transition : A la fois manque et source d'amertume, le désir rappelle à l'homme la misère de sa condition pire que celle de l'animal : non seulement en proie à des besoins, l'homme éprouve l'insatiabilité vaine du désir. Toutefois ne peut-il maîtriser cette tyrannie du désir? Ne peut-il accepter son éphémérité à la mesure de la nature humaine finie? Ne peut-il tirer parti de son dynamisme?

II. L'homme peut comprendre et accepter la précarité du désir et en tirer parti.
1) A la différence du besoin dont la satisfaction est nécessaire à la vie même, l'assouvissement du désir peut être différé et l'homme peut même y renoncer et changer ses désirs plutôt que l'ordre du monde. Si le désir éloigne l'homme de la simplicité animale, en même temps il l'éloigne de la nécessité dont l'animal est prisonnier. Le désir élève l'homme hors de l'immédiateté misérable de l'animal.
2) La maîtrise de l'homme sur ses désirs est possible grâce à la volonté, qui est spécifiquement humaine et qui lui permet de réaliser une action même si je n'y suis pas enclin, même si je ne le désire pas parce que par ma raison je juge que c'est un bien d'agir ainsi. Les désirs sont l'occasion d'une exaltation de la force morale des hommes.
3) Si le besoin asservit l'être vivant à des buts naturels et nécessaires, le désir donne à l'homme des objectifs qui peuvent être choisis s'ils ne sont pas commandés aveuglément par les conditionnements sociaux et culturels. Et même si c'est le cas, dans la mesure où je fournis des efforts et déploie mon ingéniosité pour parvenir à sa satisfaction, le désir est l'occasion de me construire, de me faire être ce que je veux être autant que de transformer le monde. L'homme enrichit son être et l'individu sa personnalité par l'accomplissement de ses désirs.
4) Dès lors, grâce à la connaissance de ses désirs et du monde, grâce à la maîtrise que procure l'exercice de la volonté, l'homme peut choisir les désirs qu'il convient de rejeter et ceux qu'il convient de satisfaire. La liberté de l'homme se joue dans cette prudence capable de s'adapter aux situations particulières et apte à trouver une voie médiane entre l'absence et l'excès. Et l'exercice de cette liberté n'est pas sans procurer au sage la satisfaction profonde de se savoir maître de soi, bonheur qui n'exclut pas le plaisir apporté par la satisfaction de certains désirs.

Transition : Ainsi le désir nous est apparu comme l'occasion pour l'homme d'exprimer des qualités spécifiquement humaines. Alors si le désir est une force qui exige une maîtrise, que représente-t-il pour l'homme? Une contrainte supplémentaire ou l'occasion d'une grandeur? Et à quelles conditions?

III. Le désir marque de l'ambiguïté spécifique de l'homme : entre misère et grandeur.
1) Le désir est un moteur indispensable de la vie de l'homme. Le désir est puissance par laquelle l'homme s'affirme, se réalise. Le désir est désir de se constituer et d'être reconnu dans sa singularité par laquelle on s'arrache à l'anonymat d'une animalité qui, par nature, lui est refusée.
2) La curiosité qui motive la connaissance, l'amour de la sagesse qui fonde la philosophie, la recherche du bien qui anime la vie morale sont parmi les manifestations les plus spécifiques et élevées de l'humanité. Une vie qui serait condamnée à la seule satisfaction des besoins conforme en cela à un idéal naturel relèverait d'un désert spirituel sauf si elle était commandée par un souci de l'ascèse et de l'autarcie par laquelle l'homme s'imaginerait l'analogue des dieux. Par le désir auquel consent une volonté éclairée ou par le désir de ne pas désirer l'homme s'efforce de combler la vanité qui le sépare d'un plénitude divine. Par l'ivresse de désirs sans frein et désordonnés, l'homme vulgaire lui aussi s'efforce de combler ce vide. En cela, le désir, effet de la misère que l'homme s'efforce de combler, est la manifestation de celle-ci.
3) Toutefois pour n'être pas une quête illusoire, le désir authentique suppose la lucidité de l'homme quant à la vanité attachée à sa condition. Si le désir est nécessaire à la vie de l'homme en tant qu'homme, celui-ci ne doit pas oublier que ce manque ne peut être absolument comblé parce que je suis un être fini. Le désir de l'homme ne doit pas accentuer cette misère.
Pour ne pas entraîner une conscience misérable sans cesse rappelée à son indigence, le désir doit donc résister à la logique consumériste de la société et ne pas souffir aveuglément de toutes les avances de celle-ci.

Conclusion

Le désir semble pire que le besoin qui me révèle mon enracinement dans l'animalité. Il me rappelle la vanité de mon aspiration à une plénitude impossible du fait de ma condition d'être fini en même temps que c'est cette aspiration même qui m'extirpe hors de l'animalité. Pour n'être pas misérable, cette aspiration doit donc s'affranchir de l'illusion d'une plénitude qu'il pourrait reconquérir, de la jalousie envieuse et des conditionnements sociaux qui tendent à transformer les désirs en de nouveaux besoins, cette fois impossibles à combler. Si le désir est la marque de la pauvreté intrinsèquement liée à la condition humaine, cette pauvreté n'est pas nécessairement misérable puisqu'elle peut être l'occasion d'une aspiration par laquelle l'homme peut s'élever. Le désir est manifestation de la grandeur de l'homme lorsqu'il est créateur de soi et ne se confine pas dans une quête illusoire d'un absolu inaccessible et n'obéit pas servilement aux appétits conditionnés par la société.

Pour développer

http://www.harrystaut.net/archive/2005/12/entry_66.html
http://www.yazata.com/?do=Documents_showVisited&subjectsId=32&themesId=