Sujet : Faut-il apprendre à être libre ?

Travail préparatoire au brouillon
Analyse des termes du sujet
Faut-il : du verbe falloir
- exprime la nécessité, absolue ou relative, inconditionnelle ou conditionnelle au sens de ce qui ne peut pas ne pas être
- exprime l'obligation, le devoir
Notons que si apprendre à être libre est un devoir, cela suppose que ce soit d'abord une nécessité.
Apprendre : acquérir par la connaissance théorique (enseignement) ou par l'exercice pratique (instruction) des données théoriques (enseignement) ou des méthodes (instruction); ce qui est appris relève de l'acquis et s'oppose à l'inné et au spontané.
L'apprentissage impose des contraintes : des exercices à effectuer et des règles à respecter. N'est-ce pas contradictoire ou, au moins, paradoxal avec la notion de liberté?

Etre libre : désigne un état et, en ceci, s'oppose au processus de libération qui l'a peut-être.
La liberté peut désigner le pouvoir de faire ce que l'on veut au sens de ce que l'on désire; la liberté est ici le règne de la spontanéité de mes désirs capricieux sur ma volonté.
Elle peut ausssi désigner le pouvoir de faire ce que l'on veut mais grâce à une volonté libre et non par des désirs spontanés, ce qui suppose :
- ou bien un libre arbitre donné immédiatement dans l'exercice de la volonté
- ou bien un apprentissage par lequel on va comprendre de quels déterminismes et de quels conditionnements la volonté doit se défaire et par quels processus elle peut lutter contre ces déterminismes qui peuvent m'incliner à agir sans liberté.
La liberté peut aussi désigner ce qui est permis par le droit et garanti par les devoirs que ce droit impose. On parle alors de liberté civile c'est-à-dire attachée à la vie en société dont on apprend les règles que nous ne sommes pas censés ignorer et que l'on découvre dans la métaphore de la société que peut constituer la famille.

Domaines d'application du sujet :

- la psychologie et l'éducation
- la métaphysique (une liberté indéterminée existe-t-elle? la liberté est-elle spontanée en toute volonté ou doit-elle se conquérir?)
- la politique : la pédagogie des lois et leur nécessité pour une liberté civile qui se substitue à une liberté naturelle impossible et contradictoire
- la morale : puis-je me permettre de vivre sans faire l'effort de devenir libre? N'est-ce pas une nécessité pour être pleinement homme? N'est-ce pas un devoir que l'homme doit à l'humanité : construire une figure libre de l'homme?

Présupposés du sujet :
La liberté de ma volonté n'est peut-être pas une donnée immédiate de la conscience.
Et la liberté civile à laquelle je crois avoir droit par nature d'homme a besoin et exige peut-être d'être éduquée et cultivée.
Problèmes :
- Puis-je me permettre de rester "mineur", incapable de faire preuve d'autonomie intellectuelle pour me gouverner moi-même et me débarrasser des mes tuteurs idéologiques et sociaux?
- la liberté immédiate que je prétends posséder n'est-elle pas une illusion? Alors une authentique liberté ne requiert-elle pas un apprentissage?
Axes de réflexion :

- La liberté semble être une donnée immédiate de la conscience; non seulement elle ne requiert peut-être pas d'apprentissage mais peut-être aussi l'apprentissage lui-même est contradictoire avec la notion de liberté.
- Toutefois l'idée d'une liberté immédiate est peut-être une illusion provoquée par les limites de la conscience humaine : je ne connais pas les véritables causes qui me poussent à agir.
- Alors la liberté n'est peut-être pas une donnée mais un acquis aussi bien au niveau psychologique (il faut se libérer des déterminismes qui nous conditionnent) qu'au niveau collectif (l'exercice de la liberté politique suppose une réflexion qui n'est possible que par un apprentissage).

Plan possible (ne sont ici formulées que les idées et les principaux moments de l'argumentation):

I. La liberté est une donnée immédiate et un droit inné.
1) La liberté est une donnée immédiate de la conscience; elle se connaît sans preuve à travers un sentiment. Il suffit que je veuille ou désire quelque chose pour manifester ainsi ma liberté. Les seules limites à ma liberté sont les obstacles qui s'opposent à la réalisation de mes désirs. S'il faut apprendre à être libre, c'est uniquement en ce que ma liberté exige des compétences pour réaliser mes volontés et surmonter les obstacles qui s'opposent à elles.
2) Toutefois une telle liberté est illusoire et naïve; elle confond désirs et volonté. Or mes désirs peuvent me gouverner au point que j'ai du mal à les maîtriser. C'est pourquoi c'est par un usage ferme et résolu de ma volonté que je peux agir en accord mais aussi contre ces passions que je subis et qui pourraient effacer ma liberté si je n'y prenais garde. Mais ai-je besoin d'un apprentissage pour parvenir à cette maîtrise que permet l'usage de ma volonté? Ne suffit-il pas de faire preuve de force de caractère?
3) La notion même d'apprentissage semble en contradiction avec la notion de liberté. En effet, l'apprentissage en tant qu'instruction suppose la soumission à certaines règles et à certains exercices contraignants qui briment la spontanéité apparemment caractéristique de la liberté. En tant qu'enseignement, l'apprentissage fait acquérir des contenus qui véhiculent des idéologies. Ainsi l'apprentissage agit comme un conditionnement, il produit des comportements réglés et génère des préjugés. L'apprentissage semble ainsi s'opposer à la spontanéité de la liberté
4) S'il fallait apprendre à être libre alors tous ceux qui ne bénéficieraient pas de cet apprentissage ne seraient pas libres de leurs opinions alors que cette liberté de tous est nécessaire à l'élaboration de la volonté générale dans une démocratie. A moins que cet apprentissage soit inévitable pour tout homme.

Transition :
Toutefois conclure à une telle liberté spontanée et innée n'est-ce pas faire preuve d'une simplification et d'un optismisme outranciers concernant la nature humaine? Que cette liberté soit nécessaire en droit pour la démocratie suffit-il à donner la preuve de son existence de fait? En outre les contraintes de l'apprentissage ne peuvent-elles permettre par la suite de dégager une plus grande liberté?

II. La nécessité d'une libération qui requiert un apprentissage..
1) Apprendre à maîtriser les désirs et à orienter les passions qui nous déterminent suppose de faire l'effort de se connaître soi-même, de comprendre les associations entre les objets qui nous attirent ou ceux qui nous effraient et les réactions excessives ou emportées qu'ils suscitent.
2) Une liberté réelle en collectivité suppose le respect de règles qui obligent et dont les infractions sont punies de manière contraignante. Mais ces obligations et ces contraintes possibles sont la condition des libertés civiles; sans elles la liberté naturelle conduirait à l'insécurité, à la violence et au despotisme. Ce respect des règles nécessaires à la liberté civile s'apprend par l'éducation.
3) Etre libre suppose donc une autonomie c'est-à-dire la capacité d'exercer un jugement personnel par rapport aux lois et aux déterminismes. L'exercice d'un tel jugement suppose d'apprendre une méthode pour connaître et raisonner afin de bien juger.

Transition :
S'affranchir des déterminismes et de l'insécurité suppose des efforts contraignants et des concessions : respect et intégration de certaines règles et apprentissage du renoncement aux désirs. Mais n'est-ce pas brader la liberté que de l'asservir à de tels conditions?

III. Liberté et responsabilité : les ocnditions d'un apprentissage libérateur.
1) Du désordre subi des passions à l'autonomie : l'âge d'homme au niveau individuel acquis par l'exercice de la prudence suppose de ne pas différer ni se lasser de philosopher. Prudence à l'égard des désirs tyranniques mais aussi des lois tyranniques ou illégitimes.
2) L'âge d'homme de la société : l'autonomie des individus dans la démocratie : obéir aux lois qu'on s'est prescrites constitue la liberté. Mais cette liberté démocratique suppose que le peuple soit suffisamment instruit pour ne pas se laisser aveuglé par ses intérêts particuliers et pervertir la volonté gnérale en volonté de la majorité ni manipulés par des meneurs intéressés.
3) La contradiction entre liberté et éducation ou apprentissage suppose donc un mouvement dialectique : comprendre et contraindre les contraintes que je subis et qui m'animent pour devenir libre. Cet apprentissage suppose que l'on me laisse mener mes propres expériences sans néanmoins que je sois libre de me nuire à moi-même ni aux autres.

Conclusion :
S'il peut paraître contradictoire, inutile et contraignant de devoir subir les obligations et les exercices d'un apprentissage pour être libre, nous avons néanmoins montré que cet apprentissage est nécessaire pour que la liberté ne soit pas que la tyrannie chaotique des désirs individuels ni celle organisée des plus forts. La liberté n'est pas un arbitraire anomique mais un pouvoir autonome. Cette autonomie n'est pas spontanée mais requiert des connaissances pour comprendre comment se gouverner.